Appartenir à une voie soufie (tariqa)

Appartenir à une tariqa : une division intracommunautaire ?

Le soufisme est-il la cause de divisions dans la communauté ? Certains aiment le clamer, et prétendent que l’existence même des tourouq (trad. : confréries – litt : Voies) est une preuve de la volonté de scission de la part des soufis du reste de la communauté.

Est-ce que cela est avéré ? De telles accusations sont-elles sérieusement recevables ?

Il y a certes une volonté de confusion dans l’avancement de tels arguments et une négation du Message de la Révélation elle-même : une appellation différente signifierait une volonté de diviser un ensemble qu’Allah Lui-même aurait réuni.

Seulement, les différentes appellations existent depuis l’époque même du Prophète, ne serait-ce qu’avec la révélation coranique qui fait clairement la distinction entre musulmans et croyants. Elle définit qui sont les justes (abrar), les gens de la droite (ashabu-l-yamin), les rapprochés (al-muqarrabun), les gens de l’ihsan (al-muhsinin), les gens de l’iman (al-mu’minin), etc.

Dans cet ensemble communautaire Mohammedien, relativement restreint aux premiers temps de la Révélation, se trouvait l’ensemble des serviteurs à qui reviennent ces appellations. Il y avait parmi eux des justes, des hypocrites, des véridiques, des rapprochés, des gens de la droite. Il y avait ceux qui aspiraient à Allah et ceux qui aspiraient au salut de leur âme dans l’au-delà, et même ceux qui n’aspiraient qu’à leur salut immédiat ici-bas. Il y a les émigrés (al-muhajirin), les auxiliaires (al-ansar), les gens de la Maison (ahl-al-bayt) du Prophète… dont certains compagnons, à l’instar de Salman al-Farisi furent honorés d’être parmi eux sans aucun lien de sang.

Les différents degrés d’adhésion au message Mohammedien sont tellement variés qu’il fallait être en mesure de différencier ceux qui s’y rattachent en différentes catégories, au moins pour chacun puisse face à lui-même se situer, de même qu’il fallait pouvoir classifier ceux qui refusaient le Message. Nous avons alors les gens du Livre, les négateurs, les hypocrites, les criminels, les associateurs…

L’évolution historique :

Différentes écoles sont apparues, donnant différents noms afin de les différencier. Ces différences doivent être vues comme un enrichissement de la part d’Allah, qui permit non seulement la préservation de Sa religion, mais son épanouissement à travers le temps et les différentes civilisations.

Allah exalté soit-Il dit : {Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un masculin et d’un féminin, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux. Allah est certes Omniscient et Grand-Connaisseur}. [Coran 49 ; 13]

A l’heure où la communauté s’est élargie aux quatre coins du monde, où nombreuses générations de saints et savants se sont succédées, il est nécessaire de donner à ce verset une portée intracommunautaire : nos différences internes sont dues au parachèvement de la religion Mohammedienne !

« J’ai aujourd’hui parachevé pour vous votre religion », voici un hadith que nous lisons souvent, et à qui est donné une portée réduite, comme si la religion était restée enfermée à cet instant-là.

Plutôt, le confinement prophétique n’a de limite que dans celle du temps de sa communauté. Ce que le Prophète a parachevé de son vivant apparaîtra durant tous les siècles à venir. Il est l’imam des saints et des savants de sa communauté, et il est encore aujourd’hui toujours présent pour eux. Le parachèvement prophétique s’est ainsi manifesté à travers l’ensemble des guides qui ont suivi, et à qui il s’est dévoilé, par vision, par sa présence, par l’inspiration de sa science. Si le Prophète a reçu d’Allah la science des premiers et des derniers, chaque savant relié à lui est son disciple. Son rôle prophétique ne s’est arrêté temporellement et matériellement que dans le monde physique. Pour ce qui est du monde spirituel, il dit : « J’étais Prophète alors qu’Adam était entre la terre et l’eau. »

S’il fut le maître des Prophètes avant lui, il est désormais le maître des maîtres de sa communauté.

Qu’est-ce qu’une tariqa (confrérie ; litt. : Voie) ?

Le simple mot « confrérie » peut poser problème, mais étant répandu dans l’usage, il faut savoir lui donner le bon sens plutôt que de le nier. La confrérie, ou voie soufie, n’est que l’expression d’une part de la prophétie Mohammedienne par un maître autorisé. La religion est vivante et ne saurait rester confinée à des livres. Elle a besoin d’imams et de savants connectés afin de vivre par eux et de vivifier les cœurs des gens recherchant l’éveil loin de l’insouciance des lignes d’écriture.

La Voie soufie, c’est l’apparition d’une porte Mohammedienne à un temps donné.

Il faut imaginer la science – ou réalité – Mohammedienne comme une ville, et les saints de sa communauté comme la porte de sa ville, en dignes héritiers du premier des saints complets Mohammedien : le grand ‘Ali Ibn Abi Talib.

La naissance d’une tariqa n’est rien d’autre que l’apparition d’une nouvelle porte dans un temps donné, d’une nouvelle chance de connaître celui qui a réuni la science des premiers et des derniers, de gagner sa proximité et la Présence de son Seigneur par lui.

C’est ainsi que doit être vu cette apparition d’un nouveau nom, d’une nouvelle tariqa qui prendra le nom de son portier (Qadiriya, Shadhiliya, Darqawiya, ‘Alawiya, Karkariya…). Plutôt que de se dire « encore une nouvelle secte, encore un nouveau groupe qui divise notre communauté », il serait utile de se dire « encore une porte de la part d’Allah pour aller à Lui, encore une chance, avant la fin des temps, d’y arriver. »

L’union communautaire ne s’est jamais faite en réduisant les noms donnés aux membres de la communauté. L’union communautaire se fait par les cœurs réunis dans le cœur du Prophète. Il est le seul point d’union. La désunion viendrait si l’un d’entre les adeptes d’une tariqa disait « je suis soufi plutôt que musulman » … ce qui reviendrait à dire « je suis avec ma porte (mon Shaykh), mais je renie la ville vers laquelle elle mène ».

Il n’y a aucun problème à se dire sunni, maliki, ash‘ari, soufi, shadhili, ‘alawi, karkari, si on sait que chacune de ces appellations renvoie à une réalité de la religion Mohammedienne, qu’elle est une facette de sa prophétie.

Aucun sentiment d’appartenance n’est plus fort que celui qui nous unit au plus parfait des Hommes, à la meilleure créature, et qui nous place parmi la communauté qu’il aime tant et qu’il ne quitte jamais.

Appartenir à une tariqa, c’est choisir de se placer dans une dynamique d’évolution par la religion Mohammedienne, en compagnie d’un saint réalisé qui a lui-même réalisé la plus grande proximité avec le Bien-Aimé.

Comment celui qui est proche de lui pourrait accepter de se dissocier de sa communauté ?

Plutôt, celui qui est proche du Prophète ou qui aspire à sa proximité, cherchera son agrément au sain même de sa communauté, quels que soient les différents noms qui pourront venir le qualifier.

Louis M.
Louis M.
Spécialisé dans l'étude des Textes sacrés et autres Textes du corpus soufi. Disciple de la voie soufie Karkariya.

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