Conseils du cheminement : à l’ère de la surconsommation de sagesses

Nous sommes témoins, notamment avec les réseaux sociaux, d’une époque dans laquelle nous avons accès à une profusion de sagesses dont, il faut l’avouer, nous sommes friands.

Cette consommation abondante de sagesses n’est malheureusement pas encore accompagnée de gros changements personnels, d’émanation de sagesses au cœur de nos sociétés, ou de véritables changements d’Hommes tournés auparavant vers le monde matériel qui deviendraient des Hommes tournés vers le monde spirituel.

Quelles sont les raisons de cela ?

Nous pensons que la raison principale vient de l’état d’esprit superficiel avec lequel nous approchons lesdites sagesses. Dans l’histoire, nous voyons dans différentes Traditions nombre d’Hommes sages qui le sont devenus avec relativement peu d’études – voire pas du tout –, mais tous avaient une pratique sérieuse, une quête bien déterminée et étaient une incarnation parfaite de ce en quoi ils croyaient, ce en quoi ils appelaient.

Nous ne pouvons malheureusement pas en dire autant de nous autres les consommateurs modernes. En fouillant dans nos cerveaux, il est bien possible que nous connaissions beaucoup plus de sagesses, d’histoires, d’anecdotes spirituelles que nombre de maîtres qui eux ont connu les cimes de la spiritualité.

Aujourd’hui, bien souvent, le religieux n’est pas religieux en tout, et le spirituel se révèle avoir un attachement matériel – ne serait-ce que par la matérialité du monde physique – bien trop présent.

Notre ennemi intérieur est celui même avec lequel nous appréhendons ces sagesses, devant normalement se loger dans le cœur, pour pouvoir fluer dans le reste des membres et les appeler à la pratique, nous les laissons quant à nous se loger dans notre intellect.

Nous intellectualisons des réalités spirituelles comme si elles étaient des concepts intellectuels. Nous vibrons un instant en les lisant… On se dit « ça, c’est fort, c’est bien vrai », et nous passons notre chemin comme si de rien n’était. Avec un peu de chance, cette sagesse lue se représentera à notre esprit ultérieurement et nous en ressentirons furtivement le parfum, pour un instant tout au plus, pour un évènement en cours tout au mieux.

Nous avons ainsi oublié que ces sagesses pouvaient devenir l’essence de notre vie, la chair de nos corps, celle qui le fait se mouvoir dans un but bien précis.

En prenant l’exemple du Shaykh Mohamed Faouzi Al Karkari, revenant sur son expérience de cheminant, de disciple auprès de son maître, il dit concernant son étude des sagesses d’Ibn ‘ata Allah Al Iskandari : « Non seulement nous les lisions, mais nous notions les compréhensions qui nous venaient à la lecture des sagesses… Et nous ne passions pas à une autre sagesse tant que nous n’avions pas appliqué la sagesse à notre propre ego. Lorsque nous lisions une nouvelle sagesse, nous faisions tout pour nous y conformer, parfois il fallait plusieurs semaines, parfois quelques jours… le principal était de les appliquer. Nous sommes restés dans cet état des semaines durant… Au point que nous considérions le livre des sagesses comme notre propre Ami, et quel Ami ! »

À la lecture de cet exemple, à la lecture de cette expérience d’un maître qui connut le véritable résultat de l’étude, demandons-nous :  qu’est-ce qui compte le plus ?

Ce qui compte le plus n’est certainement pas la compréhension extérieure. Ces mêmes sagesses d’ibn ‘ata Allah sont en effet parmi les livres les plus connus de tout le monde musulman. Nombre de mosquées et instituts dans le monde offrent la possibilité de les étudier. Elles font partie de certains cursus, elles sont étudiées et deviennent même l’objet de diplômes, afin que leur enseignement perdure. Mais que dire d’un tel enseignement, que vaut-il véritablement ?

Si cette étude des sagesses d’une manière intellectuelle approfondie n’est pas comparable avec la lecture superficielle que nous faisons quotidiennement sur les réseaux sociaux, elle n’est en rien similaire à celle que fit le Shaykh Mohamed Faouzi Al Karkari et ses semblables parmi ceux qui devinrent des maîtres.

À quoi bon expliquer des sagesses sur la chaire d’une mosquée ou derrière le bureau d’une université si nous-mêmes nous ne les avons pas intériorisées ? Elles ont été écrites non pas pour l’étude, mais pour le cheminement ! Leur auteur n’est ni un philosophe ni un poète, mais un maître soufi qui éduquait des disciples. Pourquoi alors trahir l’auteur de l’œuvre en utilisant le joyau de sa Voie comme un ornement pour nos égos ? Pourquoi utiliser des réalités profondes comme moyen de se construire extérieurement une personnalité semblant sage, mais à partir de laquelle jamais aucune sagesse ne pourra jaillir ?

L’intention : c’est un sujet sur lequel nous revenons beaucoup en ce moment, et il est central. Pourquoi lis-tu ou pourquoi partages-tu des sagesses ? Pourquoi commentes-tu des sagesses ? Pourquoi aimes-tu les sagesses ? Peut-être parce qu’elles viennent confirmer ta pensée, te conforter dans ta direction. Peut -être parce qu’elles pointent du doigt ce que toi-même tu dénonces. Peut-être parce qu’elle réveille un instant une vigueur en toi, peut-être parce qu’elles te rappellent une chose que tu avais oubliée, ou qu’elles indiquent la Voie vers laquelle tu veux te diriger.

Si tu fais partie de ceux dont le cœur vibre à leur lecture car elles réveillent en toi une certaine vigueur, ceux à qui elles rappellent des réalités oubliées, ou ceux dont elles clarifient la Voie qu’ils souhaitent emprunter…alors bonne nouvelle, car tu es sur la Voie de la non-superficialité… si, et seulement si, cette fois-ci tu ne passes pas dessus pour revibrer un instant avant de les oublier à nouveau.

Le Shaykh dit que les sagesses sont devenues pour lui un Ami… et quel Ami ! Et pourquoi « et quel Ami » ? Car c’est un ami qui ne te quitte jamais. Ce n’est pas un copain de café avec lequel tu t’assoies quelques instants et que tu laisses ensuite jusqu’au prochain verre. Les sagesses sont un Ami qui doit vivre avec toi, un Ami qui te corrige et dont la sagesse se mélangera à toi.

Que dire de la compréhension première semblant « faussée » avec une intention pure ?

Revenons encore une fois à l’exemple du Shaykh Mohamed Faouzi Al Karkari : « Comme nous étions naïfs. Nous pensions que lorsque l’Imam Ibn ‘ata Allah al-Iskandari parlait du miroir du cœur, il parlait d’un véritable miroir. Nous nous disions que si le mot miroir avait été utilisé, c’est qu’un secret se cachait derrière. Alors nous nous sommes placés face au miroir et avons commencé le dhikr du Nom Suprême [répétition du Nom Allah, Allah], en ayant la ferme intention de disparaître du miroir… des heures et des jours durant, nous invoquions Allah devant ce miroir jusqu’au jour où nous avons complètement disparu. Nous n’avions plus de reflet et lorsque nous regardions notre corps c’est comme s’il était devenu invisible. Nous voyions le Mur derrière notre dos, comme si nous étions devenus un œil sans corps. Ainsi, nous nous sommes dit, si nous n’avons plus de corps, alors pourquoi ne pas entrer dans le miroir ? En entrant dans le miroir, nous avons atteint des compréhensions qu’il nous est impossible d’exprimer… Cela partait d’une incompréhension, mais Allah jugea notre intention bonne et exauça notre demande. Comprenez lorsque Je vous dis qu’Allah est bon et que sa bonté n’a aucune Limite, qu’Il est Beau et que Sa Beauté ne saurait être contenue… Comment ne pas L’aimer ? »

Ce qui compte, plus que la compréhension superficielle, c’est donc l’intention avec laquelle la faveur divine qu’est la sagesse est appréhendée. Ce qui compte, c’est la manière dont elle est approchée, la manière dont elle est explorée, et la manière avec laquelle on la gardera avec soi à vie. Certains la mémoriseront avec le commentaire qu’on leur a servi… c’est le cas des divers enseignants à travers le monde. D’autres, à l’instar du Shaykh, travaillerons afin d’absorber la Lumière qui y a été placée par leur auteur initial, et feront perdurer ainsi la flamme illuminant leur Voie.

Si nous voulons que les sagesses nous changent véritablement, et elles en ont le pouvoir si nous les laissons faire leur travail, nous savons désormais ce qu’il nous reste à faire :

  • Sonder sa motivation
  • Travailler sur son intention
  • Donner son droit à chaque sagesse
  • Ne pas passer de sagesses en sagesses mais s’arrêter à chacune le temps qu’il faudra
  • Ne pas faire le chemin seul
  • Se demander des comptes pour voir les résultats
  • Laisser s’exprimer les sagesses sur nos membres et leur donner une place permanente dans nos cœurs.

Paix à vous !

Louis M.
Louis M.
Spécialisé dans l'étude des Textes sacrés et autres Textes du corpus soufi. Disciple de la voie soufie Karkariya.

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